mardi 19 février 2013

Hasni Abidi. Directeur du Centre d’études et de recherche sur le Monde arabe et méditerranéen

«Les Algériens connaîtront leur printemps quand les conditions d’une révolte seront réunies»

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Invité samedi dernier à Paris par le Maghreb du livre pour présenter son dernier ouvrage, intitulé Où va le Monde arabe  ? Les enjeux de sa transition (paru aux éditions Erick Bonnier), Hasni Abidi, un des meilleurs experts du Monde arabe, décrypte les transformations géopolitiques qu’ont connues les pays ayant vécu une révolution populaire.

- Deux ans après, quelle analyse faites-vous des pays qui ont connu la «révolution» ou ce qu’on appelle le Printemps arabe ?

Le bilan est contrasté. Il est trop tôt pour brosser un état des lieux post-soulèvement. Ces pays découvrent un nouveau cycle dans leur histoire, le deuxième depuis l’indépendance. Le fait marquant se résume en une construction des institutions et une recomposition du champ social et politique, accompagnée d’une dynamique électorale inédite. La transition est engagée, mais il n’existe pas de garantie de réussite. On peut néanmoins réduire les risques d’un retour à l’autoritarisme ou à sa mise à jour. Les erreurs commises par les autorités de transition ne sont pas encourageantes. Mais c’est le propre des transitions politiques.

- En Egypte, en Tunisie et en Libye, les révolutions ont conduit à l’arrivée des islamistes au pouvoir. Pensez-vous que cette étape politique est incontournable ?

Les régimes autoritaires n’ont fait que reporter l’heure islamiste. Leur héritage est catastrophique en matière de réformes économiques et politiques. C’est parce que leur verrouillage du paysage politique et médiatique était d’une telle ampleur que seuls les mouvements à référence religieuse ont pu prospérer et se développer pour être prêts le moment venu. Le déclenchement du Printemps fut leur chance et ils n’ont pas manqué de la saisir. Mais leur opportunisme politique ne signifie pas une assurance-vie. La gestion des affaires de la cité se révèle très rude pour eux, sans oublier les limites en matière de gestion des mécanismes de la transition.

- Pourquoi démocrates et laïcs ont-ils échoué à imposer leur vision et leur politique ?

Au départ, on a assisté à une compétition asymétrique et pas avec les mêmes armes. La valeur refuge exercée par la religion et sa monopolisation a faussé le jeu démocratique. Des élections précipitées dans un climat d’incertitude ne favorisent pas une offre civile en construction ou quelque peu discréditée en raison de ses mauvaises fréquentations ou de sa proximité avec le pouvoir déchu.

- Croyez-vous que les Etats arabes sont condamnés à être dirigés par les islamistes ?

Non. L’option islamiste n’est pas une fatalité. Je souhaite que l’exercice politique démystifie cette offre. Mais un processus de négociation perpétuelle est en mesure de ramener le courant islamiste à composer avec ses pairs. Les exclure serait rendre un mauvais service à la transition démocratique.

- Quel est exactement le rôle du Qatar dans cette émancipation politique des islamistes ? Et pourquoi soutient-il ces régimes ?

Le Qatar est victime d’une géographie défavorable. Conscient de ses limites, il développe depuis 1995 une nouvelle politique en mesure de lui assurer une visibilité, une influence et une respectabilité. Il a longtemps soutenu des leaders politiques interdits chez eux, qui sont désormais à la tête des transitions.

- Ne pensez-vous pas que les régimes occidentaux, les USA en tête, s’accommodent des islamistes aujourd’hui ?

Les Occidentaux n’ont pas une seule ligne de conduite face aux islamistes et leur position fluctue en fonction de leurs intérêts dans la région. Mais Washington mise sur l’islam modéré pour museler l’islam radical et pense que seul le courant islamiste est capable de tenir la rue. La France reste sceptique et dominée par une conception dogmatique.

- Partagez-vous la prospective de la CIA selon laquelle les pays arabes seront, dans les 20 ans à venir, gouvernés par des islamistes ?

Depuis des années, les USA travaillent sur ce scénario pour que les islamistes se frottent au pouvoir et parce que Washington trouve une surface commune avec les islamistes. Notamment en politique étrangère et le projet d’un pays islamique. L’alliance avec les islamistes, par le passé, est un échec.

- En Algérie, le pouvoir dit que le peuple a fait son Printemps en 1988. Pourtant, tous les éléments d’une explosion sont réunis. Pourquoi ce pays est-il resté à l’écart ?

Le Printemps arabe n’est pas une saison touristique, c’est un cycle que les Algériens vont découvrir quand les conditions d’une révolte seront réunies. Chaque pays possède son rythme particulier, mais l’Algérie est un désert en matière de réseaux sociaux et politiques, sans oublier le discrédit de la classe politique et l’impuissance des syndicats.

- Que vous inspire la démission du pape alors que Bouteflika cherche à briguer un quatrième mandat ?

La démission du pape a une immense valeur pédagogique et humaine. Dire «je pars car je ne peux plus continuer» doit inciter nos dirigeants à plus de lucidité. L’exercice du pouvoir requiert une santé morale et physique irréprochable. Partir n’est pas un échec. Bouteflika prend le risque d’une mauvaise sortie et d’un piètre héritage. 
Yacine Farah

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